ECHO DE SAINT-PIERRE N° 91 - Avril 1997

UNE VIE DE GARNISON A MONTBAREY (1785)


En cette année 1785 du règne finissant de Louis XVI, les fastes de l’ancien régime ne sont déjà plus qu’un souvenir. Les difficultés financières sont énormes, les impôts et les taxes pèsent lourdement sur le tiers état (à 90 % des paysans). Pourtant, malgré les signes précurseurs annonçants ça et là les événements révolutionnaires qui vont suivre, la vie s’écoule au rythme des habitudes acquises et des contraintes accumulées.
La vie de garnison dans les forts environnant Brest, n’échappe pas à la règle immuable des consignes données et de la discipline à respecter. Une instruction rédigée dans ce sens, émanant du Comte de Langeron, lieutenant général, commandant de la place fortifiée de Brest, nous éclaire sur les aspects routiniers de la vie militaire et sur les préoccupations matérielles de l’époque.
Cette instruction, en date du 5 juin 1785, annonce la nomination du lieutenant chargé de la garde des cinq frots composant le camp retranché de Brest : Montbarey, Portxic, Kéranroux, Questel, Penfeld. Elle s’adresse à l’officier de garnison de Brest, en charge de cette fonction, détaché au Fort Montbarey. Cet officier, commandant des forts, aura logement et jardin sur place comme l’atteste le texte de l’instruction. “Il lui sera assigné, par une officier du génie, le jardin qui lui est affecté, qu’il sera tenu de clôre,entretenir et remettre à celui qui le relèvera, dans l’état de culture où il se trouvera, étant destiné à l’usage des commandants qui se succèderont, d’après l’ordre du service”. Plus loin dans l’instruction, le Comte de Langeron, soucieux des demniers publics, recommande à l’officier, l’application des consignes face à la fraude... sur le vin.
“Il aura une attention particulière à ce qu’il ne se vende du vin en fraude sur aucun des forts, non plus que dans les maisons des gardiens, et à ce qu’il n’en soit mis en dépôt, soit chez lesdits gardiens ou dans les ouvrages, pour le soustraire aux droits de la ferme ; si cela arrivait, il ferait saisir le vin et en informerait sur le champ, par écrit, Monsieur de Moynier, maréchal de camp, lieutenant de Roy de Brest, de même que de tout ce qui se passerait d’intéressant sur lesdits forts”.
Il est vrai qu’à l’époque le vin était, comme le sel, une denrée lourdement taxée. Cette T.V.A. avant l’heure, nous éclaire peut-être sur l’origine de nos taxes actuelles. La ferme ou l’imposition sur le vin, devait être respectée. Le vin était taxé à la vente chez le producteur, au passage des routes, à l’entrée des villes, chez le détaillant.Ainsi, le vin était-il taxé de 30 à 40 fois entre la production et fraude, ce qui alourdissait considérablement le prix de revient, et attisait les risques de la consommation. La réglementation en la matière reconnaissait pour chaque famille, quel que fût le nombre de ses membres, le droit de consommer quatre pièces de vin par an (4 tonneaux d 200 à 250 litres semble-t-il). Pour toute pièce consommée en surplus, ce qu’on appelait avec logique le “trop bu”, le chef de famille était frappé d’une imposition spéciale, comme suspect de se livrer à la vente clandestine de vin.
Par ailleurs, l’instruction, soucieuse d’éviter tout désordre occasionné par les militaires, dans le bourg de St-Pierre et la campagne environnante, prescrit également à l’officier, les consignes suivantes :
“Il tiendra la main, au surplus, à ce qu’aucun soldat ne s’écarte dans la campagne, pour y commettre du désordre, et ne quitte son poste sans permission. Quant aux caporaux et soldats qui viendront à Brest pour y faire les provisions, il leur fixera l’heure à laquelle ils devront partir et rentrer, afin d’éviter qu’ils ne s’arrêtent dans les cabarets, ou n’abusent, en quelque manière que ce soit, du temps qui leur est nécessaire ; disposition qu’il fera pareillement exécuter sur les cinq forts du camp retranché”.
Et plus directement, pour qu’il n’y ait pas de place à l’interprétation, l’instruction précise :
“Les jours de fêtes et de pardons, il enverra des patrouilles au bourg de Saint-Pierre, et à un cabaret qui est entre ce bourg et Recouvrance, pour empêcher les disputes, et maintenir le bon ordre !”
Et de conclure, afin d’être bien entendu : “L’officier de garde à la porte du Conquet a ordre d’arrêter tout soldat qui viendrait des forts sans une permission par écrit.”

Une vie de garnison, au fort de Saint-Pierre/Montbarey, bien banale semble-t-il, et surtout indifférente à la tempête révolutionnaire qui gronde. M. BARON.