ECHO DE SAINT-PIERRE N° 78 - Juillet-Août 1995

LE COMMERCE DES PRODUITS FERMIERS

Les exploitations agricoles de Saint-Pierre, ainsi que celles des communes qui entouraient la ville, livraient le lait et des légumes à Brest tous les jours, dimanches et fêtes compris, et cela quelque fût le temps. Pendant longtemps, cette livraison fut faite en chars à banc, qui furent remplacés peu à peu par des voitures. Le lait était distribué directement aux clients, à part quelques litres déposés dans les alimentations très nombreuses à l’époque.

Toutes les cultures des fermes étaient axées sur la nourriture des vaches laitières. Il n’y avait que le son qui était acheté à l’extérieur. Comme l’utilisation des engrais chimiques était restreinte, c’est le fumier qui enrichissait la terre. En plus du fumier de ferme, qui était abondant, tout le monde achetait du fumier de ville. Le fumier, ramassé tous les jours dans les rues de Brest par des charrettes traînées par des chevaux, était stocké au Valy-Hir dans d’énormes tas, qui, après fermentation, étaient vendus par m3 aux fermiers. Ce fumier dégageait une odeur nauséabonde, il contenait aussi des débris de vaisselle et différents objets jetés par mégarde. En travaillant la terre, on faisait quelquefois des découvertes surprenantes.

Les vaches laitières disposaient donc de gras pâturages du printemps à l’automne avec, en plus, du foin et du son à l’étable. La nourriture d’hiver était composée de foin, de betteraves fourragères, de rutabagas coupés en tranches et de son, auquel était ajouté des betteraves, rutas et petites pommes de terre, cuits dans une grande marmite. La traite avait lieu le matin et l’après-midi, au plus tard à seize heures, de cette façon, la traite du matin était plus abondante, ce qui permettait d’avoir plus de lait chaud pour aller en ville. Le lait du soir, ou froid, pouvait tourner facilement, surtout quand il faisait chaud. Les clients n’aimaient pas cela du tout.

Le lait de la traite du soir était disposé dans des bassines larges et plates, dans un local exposé au nord, en général dans la maison. La fenêtre qui éclairait cette laiterie était toujours ouverte et garnie d’un grillage fin empêchant l’entrée des mouches et moucherons et aussi des chats.

Le lait contenu dans ces bassines était écrémé à la louche. La crème servait à faire le beurre, les pâtisseries en achetaient une partie. Certains transformaient le lait écrémé en gros lait, surtout l’été. Le surplus servait à la nourriture du cochon que chaque ferme engraissait, et à l’élevage du veau, en général, un taureau que toutes les fermes d’une certaine importance avaient.Ce taureau était vendu gras au boucher quand le suivant était apte à remplacer pour la fécondation des vaches. Les écrémeuses étaient à peu près inexistantes. En cas de contrôle, lait mouillé ou écrémé, la présence d’une écrémeuse aggravait nettement le cas.

Le cheval qui faisait la livraison du lait (bidet) recevait sa dose d’avoine tous les jours, et ne participait qu’exceptionnellement aux travaux de la ferme. Il avait vite fait de connaître la tournée, et s’arrêtait de lui-même devant le domicile des clients. Quand il fallait lui changer d’itinéraire, il acceptait difficilement.

Le pont de Recouvrance s’ouvrait quelquefois à certaines heures pour laisser passer un bateau, la manoeuvre durait une heure, ce qui retardait la tournée du livreur, qui en général était une femme, la patronne ou une fille de la maison.

Les vaches laitières étaient achetées à Saint-Renan, où il y avait marché tous les samedis ou à la foire de Guipavas. Beaucoup se fournissaient aussi chez des revendeurs spécialisés pour ce négoce.

Quelques fermes avaient aussi des juments poulinières et élevaient une pouliche par an. D’autres utilisaient seulement des chevaux de trait.

Chaque ferme cultivait également les légumes courants : pommes de terre, choux, poireaux, oignons, haricots verts, demi-secs, petits pois, laitues, scaroles, carottes, navets, rutabagas (seuls les petits étaient vendus, les gros servaient à l’alimentation des vaches), un peu d’artichauts, du persil,... Le froment, cultivé après les plantes sarclées de l’année précédente, donnait de belles récoltes, grain pour la consommation familiale et la vente, la paille abondante pour les litières.

Les légumes étaient livrés au détail tous les jours suivant la commande de la veille ainsi que quelques oeufs. Quelques fermes étaient spécialisées dans la culture maraîchère, et se rendaient au marché de Saint-Louis très tôt le matin. Il y avait quelques producteurs de plants de choux et d’oignons à repiquer.

Certaines exploitations avaient des terrains boisés aux alentours des prairies, cela fournissait beaucoup de fagots, qui étaient vendus aux boulangers, tous les fours se chauffaient au bois.

Au bourg de Saint-Pierre, deux magasins vendaient les produits nécessaires aux fermes : graines, engrais, son,... et avaient le commerce du blé ; le magasin du Syndicat agricole et le commerce de M. Leven. Dans un petit commerce tenu par Madame Deudé, on trouvait les petites graines pour les jardins. Il y avait deux forges tenues par les frères Nicolas Louis et Olivier, en plus de leurs occupations principales, ferrer les chevaux et fabriquer et remettre à neuf les socs de charrues, ils faisaient office de vétérinaires pour les blessures courantes, les vêlages difficiles,...

Les ustensiles utilisés pour le lait : bassines étroites ou seaux pour la traite, bidons pour le transport (kirin), passoires, mesures et bassines plus larges pour le lait devant être écrémé, étaient en fer étamé ; peu à peu, ils furent remplacés par les mêmes objets en aluminium.

Pendant longtemps, le bourg de Saint-Pierre fut le bourg de campagne où tout le monde se connaissait ; on y trouvait l’église, le presbytère, le patronage, l’école des Frères, l’école des Soeurs, les écoles laïques, la mairie, le bureau de tabac, le lavoir, une pharmacie, un marchand de vin, deux boucheries, une charcuterie, deux boulangeries, de nombreux cafés, des alimentations, l’Economie Bretonne (l’Eco), les Docks de l’Ouest, une mercerie, la marchande de bonbons, les restaurants du Débit Vert et du Panier Fleuri, un garage, un cimetière, avec en face, le magasin de monuments funéraires, un magasin de chaussures tenu par un cordonnier, un coiffeur ; il y avait aussi un médecin, le bedeau, le garde-champêtre, les repasseuses qui soignaient les coiffes des dames, un tailleur, des menuisiers, un charron, le charbonnier se trouvait au haut du bourg, la gare du tramway du Conquet.

En Juillet, le 14, il y avait un feu d’artifice sur la place du bourg où se tenait un marché mensuel. Les bouchers avaient leurs abattoirs, celui de la boucherie Le Moign se situait au Cruguel, et celui de la boucherie Euzen sur la route allant à Pouléder. M. Lannon fit longtemps office de rebouteux.
Le tramway brestois venait jusqu’à Saint-Pierre, et permettait aux gens d’aller facilement à Brest, il passait à intervalles réguliers.

Trois ou quatre fermes faisaient partie du Bourg : Kerniliz, Kérourien, Kérankéré (Kérarc’héré en breton).

Mme CADIOU.