ECHO DE SAINT-PIERRE N° 71 - Décembre 1994


SOUVENIRS DE GUERRE

Dans les premiers jours du mois d'août 1944, nous savions que les troupes alliées approchaient, mais les bombardements s'amplifiaient, et nous passions beaucoup de temps dans les abris. A partir du 7 août, l’état de siège est décrété, et le 13 août l’évacuation générale est décidée, aussi le 14 août, au cours d’une trêve obtenue par M. Eusen auprès des belligérants, le long cortège des réfugiés s’effile sur les routes. Pour nous, nous prenons la direction de Guilers, avec quelques valises ou sacs où nous avons mis ce qui nous semble le plus précieux.

Nous arrivons entre le bois de Kéroual et Guilers quand déjà expire la trêve, et nous voyons à nouveau les avions déverser leurs bombes sur cette ville que nous venons de quitter.

Continuant notre route, nous arrivons à Saint-Renan dans la soirée. On nous dirige sur l’hospice, où, après une soupe, nous nous allongeons dans un grand couloir où nous passons la nuit, à même le sol, enveloppés dans une couverture. Le lendemain, 15 août, un comité d’accueil essaie de répartir tous ces réfugiés dans des greniers, granges... Pour nous, nous voici dans le bas de la ville de Saint-Renan, dans une ancienne maison dont le rez-de-chaussée sert d’écurie aux chevaux les jours de marché ou de foire, et l’étage de grenier. Il y a de la paille, et ce sera notre dortoir pour 4 familles. Le rez-de-chaussée nous servira de cuisine et de salle à manger. Une soupe populaire est organisée sous les halles de Saint-Renan ; nous recevons ainsi tous les jours, soupe, ragoût que nous faisons réchauffer dans notre “cuisine”.

Un beau jour, nous voyons les premiers américains, que nous accueillons avec joie. Ils nous distribuent bonbons, chewing-gum, cigarettes, mais ils ne font que passer, car quelques heures plus tard, ce sont les allemands qui sillonnent à nouveau dans les rues de Saint-Renan. Un jour, ce jeu de cache-cache a failli mal tourner.

Américains et allemands empruntant la rue principale allaient fatalement se rencontrer, juste devant les halles, à l’heure de la distribution de la soupe. Une personne, jugeant la situation, avertit les américains, qui se retirèrent pour éviter la rencontre. Il y eut cependant quelques combats autour de Saint-Renan, mais bientôt les américains furent maîtres de la situation, et les allemands que nous voyons, sont des prisonniers heureux de finir cette guerre, mais qui se font cependant tuer en traversant Saint-Renan.

Nous étions donc libérés, mais les combats pour Brest continuaient, et nous recevions même des obus tirés par la batterie allemande de Kéringar, près du Conquet.

Certains soirs, nous allions sur la route de Plouzané, au point le plus haut de Saint-Renan, pour apercevoir les lueurs des incendies qui se déclaraient à Brest.

Enfin, le 19 septembre, nous apprenons la reddition de la place de Brest, mais, malgré la joie d’être libérés, nous étions inquiets pour la maison que nous avions quittée un mois auparavant.

Aussi, dès que cela fut possible, nous partîmes de Saint-Renan à pied, en passant par Bodonnou, pour aller voir notre maison. En arrivant près du Fort Montbarey, nous comprenions combien la lutte avait été dure. Partout des trous de bombes, d’obus. Il y avait même un immense cratère au milieu de la route du Conquet, et par-ci par-là des cadavres de soldats allemands. Enfin, nous arrivons au bourg de Saint-Pierre : les rues de la mairie (V.Eusen) et Jean-Jaurès (A.France) étaient encombrées de détritus des maisons détruites, car, en plus des bombardements, les allemands avaient mis le feu dans une maison sur deux, si bien que presque toutes avaient brûlé.

Notre maison était debout, et pourtant, on y découvrait un foyer d’incendie, mais qui ne s’était pas propagé. Par contre, un obus avait atteint le toit, un autre le pignon, et une grenade ayant éclaté dans la cave avait détruit le rez-de-chaussée. Les portes avaient été brisées, et beaucoup de choses avaient disparu.

Il nous fallut rester à Saint-Renan pendant de longs mois, avant de trouver un logement sur Saint-Pierre, en attendant de pouvoir à nouveau rentrer dans notre maison reconstruite.

F. LULLIEN