ECHO DE SAINT-PIERRE N° 52 - Mars 1993

UN GRAND CHANTIER : LA CENTRALE DU PORTZIC

Brest en chantiers ! Il ne s’agit pas du panneau publicitaire actuellement visible en ville, il s’agit de Brest en reconstruction dans les années 50. C’était l’époque où d’énormes camions traversaient le bourg, provoquant vibrations et fissures dans les habitations.

C’était la période où une nombreuse main-d’oeuvre extérieure à la Région était présente dans notre région : des gens du Nord, du Creusot, de Saint-Nazaire, de Marseille,...

A un moment où la pétanque n’avait pas encore envahi la Bretagne, un des premiers concours de pétanque organisé à Brest, sinon le premier, le fût au café “Aux amis des Sports”. Un Marseillais, dit “Nenn”, faisait le spectacle à lui seul et captivait les Quilbignonnais à la sortie de la messe, sur les larges trottoirs devant le cimetière (non enrobés à l’époque). L’équipe quilbignonnaise formée de H. Jézéquel, L. Ansquer, et M. Madec, malgré les nombreux supporters, ne fit pas trembler les gens du Sud.

Les pensions de famille, les restaurants ouvriers (il y en avait à Sainte-Anne, à Pont-a-Louët, au Panier Fleuri, ...) faisaient le plein. Les gens “en déplacement” étaient intéressants, ils avaient des ressources.

C’est dans ce contexte qu’un des grands chantiers brestois fut mené : la centrale souterraine du Portzic. Longtemps ignorée, puisque inaccessible, elle est visible aujourd’hui, en partie, pour le promeneur utilisant le chemin côtier reliant Sainte-Anne à la Maison Blanche.

Sa construction fut décidée en remplacement des usines de Brest, Lorient et Saint-Nazaire, qui avaient été détruites pendant les hostilités, l’Arsenal de Brest étant le principal client à alimenter.

Située en bout de ligne du réseau électrique français, la Centrale du Portzic pouvait alimenter ce réseau.
En l’absence de chute d’eau en Bretagne, une usine marémotrice n’étant encore qu’en projet, seule la construction d’une centrale thermique était à envisager. Les projets EDF et Marine furent conjugués, la Marine s’intéressant particulièrement à une installation protégée.
Le choix de l’emplacement s’est porté sur la région du Portzic, en raison de la configuration et de la nature du terrain, d’une part, qui permettaient d’obtenir avec facilité une protection de 40 mètres d’épaisseur de rocher au minimum au-dessus des ouvrages, d’autre part, la proximité de la mer, qui permettrait un ravitaillement direct en combustible liquide par bateau, enfin, la proximité des parcs de combustible de la Marine, avec lesquels une liaison par pipe-line est assurée.

Les travaux commencèrent au début de 1947, et la mise en route du premier turbo-alternateur eut lieu en octobre 1951.

Le prix total de la construction peut être évalué à 4 milliards de francs de l’époque, la quote-part de la Marine étant de 1,3 milliard.

C’est que l’édifice était imposant. A titre de comparaison, à l’époque, la Centrale possédait la hauteur de voûte la plus importante d’Europe, et la seconde du monde après Pearl Harbor.

Une galerie de 160 mètres de long, haute de 7 mètres, large de 7 mètres, permet l’accès à deux alvéoles. La principale a une longueur de 83 mètres, une largeur de 20 mètres, une hauteur de voûte de 27 mètres, et elle abrite les réservoirs à mazout et les installations en pompage d’eau de mer. tout ceci complété par trois puits de 49 à 57 mètres de hauteur pour la prise d’air frais, l’évacuation des fumées, les liaisons par câbles et les ascenseurs.

Seuls les bureaux et des réservoirs à mazout sont installés en surface.
A titre indicatif, il a fallu exécuter 330 000 m3 de déblais rocheux, mettre en oeuvre 50 000 m3 de maçonnerie et béton, utiliser 620 000 kg d’acier en béton armé, ...

Ce chantier était imposant, une nombreuse main-d’oeuvre y a participé.
Il fut aussi très meurtrier : 33 morts par accidents.
Dans un prochain article, nous suivrons les “heurs et malheurs” de la Centrale, rappellerons le souvenir de ceux qui y ont travaillé, et notamment l’apparition d’une nouvelle population à Saint-Pierre, “ceux de l’EDF” dont beaucoup venaient de différents endroits de France.

(à suivre) J.P MADEC et R. ROPARS


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ECHO DE SAINT-PIERRE N° 53 - Avril 1993

LA CENTRALE DU PORTZIC (suite et fin)

Dans notre précédent numéro de l’Echo de Saint-Pierre, nous avons présenté le grand chantier. Au-delà des dures conditions de travail, parfois meurtrières, il y avait aussi le problème du transport. Le moyen de locomotion le plus répandu pour s’y rendre était la bicyclette, et lorsque la pluie et la tempête donnaient plein ouest, la montée de la rampe de sortie du souterrain offrait peu d’abri. Le chemin paraissait parfois bien long...

Le personnel de conduite de la Centrale était constitué par des effectifs venus de différentes Centrale de l’Ouest de la France : Segré, Angers, Tours, Le Mans, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire et Quimper. Toutes ces Centrales vétustes furent déclassées lors de la mise en route de la Centrale du Portzic. Un certain nombre d’agents (jeunes dans l’ensemble) furent embauchés sur place.

La grande majorité du personnel (41) furent logés dans une cité pavillonnaire à Kéranroux, construite spécialement pour eux en 1952. Cette arrivée de familles nouvelles, jointes à tous les monteurs qui logeaient dans le quartier, créait quelques tensions parmi les habitants.

En 1962 fut construite une turbine à gaz de 20 000 kw. Une turbine à gaz est un énorme moteur à réaction qui entraîne une turbine. Le prix de revient du KW est plus élevé que celui d’une centrale vapeur, mais son prix d’installation est bien plus bas.

L’avantage de la turbine à gaz est sa grande souplesse d’utilisation. Il lui suffisait de 20 minutes pour être à pleine charge, contre 6 heures à la centrale vapeur. C’est un groupe qui ne tournait qu’aux heures de pointe, quand EDF vend ses KW au prix élevé. Ainsi, son utilisation est rentable.

Lors de sa construction, c’était la turbine à gaz la plus moderne d’EDF.
La centrale vapeur fut déclassée en 1976, seule fut maintenue la centrale à gaz.
En 1980, après démontage de la centrale vapeur, fut installé, toujours dans le souterrain, deux groupes de 20 000 kw actionnés par moteur diesel. Ces groupes ont bien fonctionné pendant cinq ans, puis ils furent démontés pour être installés en Corse.

La turbine à gaz fut déclassée en même temps, de même qu’était démontée la centrale diesel.
En 1986, le Centrale du Portzic n’a plus produit de courant électrique. L’alimentation de la région est maintenant assurée par la Centrale de Cordemais, la Centrale nucléaire de Chinon et pour une bien moindre part, par l’usine marémotrice de la Rance, les pointes étant écrêtées par des turbines à gaz installées à Dirinon et à Brennilis.

Et voilà ! La Centrale du Portzic a vécu. Pendant plus d’une trentaine d’années, elle a participé à la fourniture d’électricité.

Parmi ceux qui y ont travaillé, certains sont établis dans la ville, d’autres sont partis.
La cité EDF de Kéranroux abrite une autre population et est en cours de rénovation.
Et le temps passant, un jour il ne restera peut-être pas plus de traces de cette Centrale dans le paysage, qu’il n’en reste de ce qui fut son voisin (dans le temps) : la manoir du Portzic.

R. ROPARS et J.P MADEC.