ECHO DE SAINT-PIERRE N° 51 - Février 1993

SUR LA PISTE DES ROMAINS.

Le Groupe Mémoire de saint-Pierre s’est fixé pour tâche de restituer dans la mémoire collective, un certain nombre de souvenirs, glanés ici ou là, et de publier ou signaler des travaux réalisés par d’autres personnes en d’autres temps. Ainsi dans cet article, nous vous entretenons d’une communication du Baron de la Pylaie au journal l’Armoricain qui la publia le 21 Août 1845, et qui fut reprise plus récemment par les Cahiers de l’Iroise.
Se déplaçant de la “Maison Blanche” à Sainte-Anne, faisant une pause à la pointe du Portzic pour admirer le phare en construction (qu'il annonce comme édifice remarquable), le Baron est très intrigué par une observation au lieu-dit la Maison Blanche. Questionnant un homme de l’endroit à ce sujet, il lui est répondu : “Il paraît qu’il y a ici d’anciennes choses, mais personne ne sait ce que c’était”. Questionnant l’aubergiste, il découvre que “ le lieu s’appelait précédemment l’anse Garin, du nom d’un ancien pêcheur qui s’y était établi, et que le cabaret qu’on y avait bâti ensuite lui avait fait donner le nom de Maison Blanche, parce qu’on avait blanchi ses murailles pour la faire remarquer davantage des navires qui étaient mouillés en rade”.
Qu’est-ce qui intéressait notre archéologue ? Tout simplement une chaussée. Il avait remarqué une ancienne route, dont la constitution évoquait pour lui un ouvrage des Romains. L’observation du Château de Brest et une expérience de recherche en d’autres sites de France le confirmaient dans ses conclusions. Si la façon de construire cette route (largeur 4 mètres, épaisseur 30 centimètres, lit de pierres,...) ne lui laisse aucun doute quant à ses origines, les seuls tronçons visibles, son isolement la rendent énigmatique. Elle partait de la limite de la prairie au fond de l’anse Garin, et remontait sur le plateau en direction du Fort du Portzic.
Pourquoi les Romains auraient-ils construit cette chaussée ? Faute de recherches plus approfondies, le Baron émettait des hypothèses: y avait-il un Villa (domaine rural à l’époque Gallo-romaine) dans ce vallon ? Avait-elle été construite pour favoriser les communications entre cette petite anse et le Château de Brest ? Le Baron émettait l’idée que se trouvait peut-être là le débarcadère où se seraient établies les communications entre la pointe des Espagnols et la côte nord de la rade de Brest. N’oublions pas en effet que le peuplement de Saint-Pierre et de ses environs s’est fait par la mer, et que pendant très longtemps les communications, le commerce, se faisaient par voie maritime.
Poursuivant son enquête, le Baron de la Pylaie s’en ouvrit à l’aubergiste du lieu. Celui-ci réfuta les propos du Baron, estimant que ce pavage avait dû être réalisé au moment de la création du Fort du Portzic (vers 1770) avec la chaux provenant des fosses où on l’éteignait, et lui fit d’ailleurs visiter les deux fours servant de cave désormais. Ces propos n’eurent pas d’effet sur le point de vue du Baron.
Poursuivant ses investigations, il précise que “le fond de l’anse Garin a changé d’état depuis 1827 : jusqu’alors elle avait offert une plage de sable très uni, et la mer venait buter contre la prairie, c’est-à-dire au pied du pavé cimenté dont nous venons de par parler; mais, depuis que l’on a ouvert la petite route stratégique (reliant les défenses de Brest) le long de la côte, la plage est recouverte de pierres, et ce vallon jadis désert s’est peuplé, son entrée nous offre une auberge, un cabaret et diverses autres maisons”. Pour compléter ses connaissances sur la contrée, le Baron de la Pylaie ne pouvait mieux faire que de rencontrer le Maire de la commune M du Portzic.
Très bien reçu par celui-ci et Madame, il fut charmé par le Manoir dominant la baie de Sainte-Anne, et surtout par le jardin. “Un charmant jardin encadré par des bocages qui abritent des vents de mer toutes ses plantations”.
“On se croirait dans les riantes campagnes de l’Anjou et de la Touraine”. “Je ne me lassais point de parcourir ce délicieux jardin et ses bosquets qui ont triomphé de la violence des vents de l’océan, ils doivent être visités par tous les propriétaires qui habitent de pareilles situations, parce qu’ils ne trouveront nulle part de meilleurs modèles pour ajouter aux jouissances de la vie...”
Ainsi s’exprimait le Baron de la Pylaie.
Le jardin du Manoir du Portzic semble avoir marqué ceux qui l’on visité. D’autres auteurs en ont fait état. L’éloge qu’en fait le Baron nous fait penser à ces magnifiques jardins de Grande Bretagne, notamment en Cornouaille. Dans ces régions au climat dit rude on peut visiter de magnifiques jardins ou parcs immenses, vieux de plusieurs siècles où camélias, rhododendrons, magnolias de très grandes tailles fleurissent et s’épanouissent.
Nous n’avons pas d’équivalent dans la région, dommage que le jardin du Manoir du Portzic n’existe plus.

J.P. MADEC.