ECHO DE SAINT-PIERRE N° 44 - Juin 1992

DES CORSAIRES A KERVALLON

A l’occasion de “BREST 92”, la Penfeld va retrouver dans son estuaire le rassemblement de plusieurs voiliers, qui nous permettra de prendre la mesure de l’activité de l’avant-port à son apogée.

Sans atteindre les performances du trafic de Morlaix et de Saint-Malo aux XVII et XVIIIe siècles, les armateurs et négociants brestois, dont Riou-Kerhallet, armaient en course. Cet intérêt devient plus vif au début de la guerre d’indépendance américaine.

Il est possible à toute personne fortunée (sauf aux magistrats et officiers du port qui arrivent toutefois à prendre des parts sous des noms d’emprunt) d’acquérir des intérêts dans l’armement. Ainsi M. de Bordenave, directeur le l’arsenal, dirige l’armement de plusieurs navires, Mme de Montespan elle-même prend des action à Brest, devancée en 1696 par le prieur de l'abbaye de Daoulas avec une plus modeste mise de 250 livres.

Ces armements se faisaient sur des navires de 30 à 200 tonneaux. Leurs noms : l’Espérance, le Hasardeux, l’Heureux Retour, le Succès, la Roue de la Fortune, laissaient à penser que les aléas de l’aventure hantaient les esprits.

Opportuniste et clairvoyant, Jean-François Riou-Kerhallet déjà armateur et négociant, réputé millionnaire, avait amassé une fortune considérable. Il achète en 1788 la propriété du marquis de Fayet, située dans l’anse de Kervallon qui était à l’époque le lieu de résidence des notables brestois.

Il y crée un vrai port avec cales, chantiers de construction et d’importants magasins que l’on voyait encore il y a quelques années. Il évite ainsi l’encombrement de l’avant-port et la longue attente pour accéder aux quais. Il dispose d’une tannerie et de deux moulins. Le commerce avec la Marine lui donne une occasion supplémentaire de s’enrichir. Au cours d’une de ses course annuelles, un des ses “corsaires” capture 4 bâtiments, dont la vente de cargaison atteint 1,2 million de francs. Après les traités de 1814 et 1815, les corsaires désarment, mais Jean-François Riou-Kerhallet prétend conserver ses aménagements et continuer à pouvoir traverser le port militaire. Sur le premier point, il gagne en 1830 un procès contre la Marine, grâce à une interprétation équivoque sur la notion de “rivage de mer”. La prétention de l’armateur sur le deuxième point lui est refusée, et en 1835 la Marine acquiert à grands frais l’emplacement convoité.

Né le 29/12/1746, Jean-François Riou-Kerhallet était le 9ème enfant des 12 issus du second mariage de son père François Riou, marchand de vin, né à Chateauneuf-du-Faou vers 1696, avec Marie-Anne Jacquette Le Bescond de Coatpont.

Il se marie à Recouvrance en 1790, et au bas de l’acte de mariage, signe Riou ci-devant Kerhallet ; particule qui évolua par la suite ! Il mourut en 1858. Un de ses fils, Jean-Michel ARMAND, négociant à Kervallon est élu maire de Saint-Pierre de 1830 à 1831. Il était le 1er inscrit sur la liste des électeurs municipaux de Brest, et 2ème sur la liste à la contribution foncière, précédé par sa soeur, épouse du baron espagnol Guzman Kindelan. Un Philippe de Kerhallet, Lieutenant de Vaisseau commandait en 1844 le brick-goélette l’Alouette.

Qui soupçonnerait de nos jours que ces rivages paisibles désormais consacrés à la promenade et quelque peu dépoétisés du fait de la présence militaire, renferment les secrets les plus romanesques de la flibuste, étrangement associés à ce qui constituait l’intérêt et la prédilection de la respectable" bourgeoisie locale ?


P. FLOC’H.