ECHO DE ST-PIERRE N° 33 , MAI 1991


LA MUTUALITE DE RECOUVRANCE

QUAND RECOUVRANCE TRACAIT LA VOIE...
Ce sont des membres de la société de secours Mutuel de Recouvrance qui animèrent le 24 novembre 1858, l'assemblée constitutive de la Mutuelle de Saint-Pierre Quilbignon dont nous avons évoqué la création dans l'Echo de St-Pierre N°25.
Qu'étaient donc les problèmes et préoccupations qui à cette époque amenaient à la création de ces structures ?
Le rapport de Mr Chapelle, Président de la Mutuelle de Recouvrance, adressé au Préfet, le 1er janvier 1854, et présentant le bilan de l'année 1853 est intéressant à ce sujet.
Les Mutuelles de l'époque, créées et utilisées comme instruments d'intégration sociale suivant le voeu de Napoléon III ? Dans le précédent article nous le soulignions, et ce rapport est édifiant de ce point de vue. Il débute ainsi :
"Ce but principal et celui vers lequel tendent tous nos efforts sera de toujours maintenir parmi nos ouvriers cette autorité morale si nécessaire au Président pour diriger une société et qui seule peut lui permette d'exercer de la manière la plus heureuse et la plus efficace pour tous, cette protection qu'il leur doit par suite de la Mission qui lui est confiée par le chef de l'État".
Ce ton est donné et parfois l'obséquiosité est présente au long des différent chapitres. Mais au-delà de cet aspect général, la Mutuelle de Recouvrance semble déjà un outil opérationnel au service de la population.
Des statistiques sont tenues, analysées. Pour 1853 un excédent de 1 046,26 F est dégagé. Les dépenses sont honoraires de Médecins (292,40 F.), frais pharmaceutique (653,97 F.), secours en argent (1551,00 F.), frais funéraires (10,00 F).
Nous aurons les mêmes rubriques quelques années plus tard pour la Mutuelle de St-Pierre.
Le nombre de jours de maladie et le coût pour la Mutuelle :
3309 Journées (1,60 F par tête) en 1851, 1688 journées (1,52 F par tête) en 1852, 1583 journées (1,56 F par t~te) en 1853.
De quoi souffraient les gens ? La nature de la maladie, le nombre de jours d'arrêts de travail figurent au rapport. Les maladies les plus fréquentes qui y sont mentionnées sont :
Angine, 11 cas, Bronchite 12 cas, Pleurite ou point Pleuritique 14 cas, Entérite 9 cas, Abcès divers 7 cas...
Les cotisations mensuelles demandées aux adhérent sont de : 0,50 F de 16 à 35 ans, 0,75 F de 35 à 40 ans, 1 F de 40 à 50 ans.
Curieusement, aujourd'hui en 1991, il n'est pas toujours bien vu de pratiquer des cotisations variables suivant l'âge, car c'est porter atteinte aux pratiques de solidarité de la Mutualité Paradoxe de l'histoire...
La Mutuelle de Recouvrance était bien plus importante que ne le sera plus tard celle de St-Pierre. Elle affiche pour 1853, 354 adhérents, membres honoraires et membres titulaires confondus.
Le tableau des professions des membres honoraires fait apparaître du "beau monde" :
Maire de Brest, Préfet, Avocat, Pharmacien, Ingénieur, Aumônier, Abbé, Juge de Paix, Officier, Instituteur,. . .
Celui des Titulaires, les métiers de l'époque et notamment ceux du Port :
Modeleur, Charpentier, Patron de Gabarre, Forgeron, Fondeur, Calfat, Cordier, Peintre, Artificier, Cordonnier, Ebéniste, Voilier, Gabier de Port, Joumalier, Douanier, Chaloupier, Tonnelier,...
Dans son rapport, le Président justifie une dépense provoquée par la location d'un appartement où se faisaient les permanences, le secrétariat, l'encaisse des cotisations. Ceux-ci se faisaient au départ lors de la réunion mensuelle dans la chapelle du Sacré-Coeur.
Mais des "manipulations d'argent en tel lieu, cela n'était pas convenable"... De plus des sociétaires n'avaient pas forcément la somme d'argent disponible au jour dit, ce qui amena le trésorier à assurer ces permanences le samedi.
Ce local servait de bibliothèque, une réalisation qui tient à coeur au Président de la Chapelle. Composée de 2000 volumes, il en a été lu environ 500 pendant 1 hiver moyennant une rétribution de 5 centimes par volume.
Pour permettre un large accès à la bibliothèque, notamment pour les familles, le président souhaite la gratuité et sollicite un Secours auprès du Ministre de l'Intérieur. Relevons une partie du plaidoyer : "... il importe de pouvoir fournir à ces enfants pour charmer leurs moments de désoeuvrement des lectures moral, récréatives et amusantes qui viennent détruire la mauvaise influence de ces productions pernicieuses répandues avec tant de profusion et de subtilité dans toutes les classes de la société et à si bas prix qu'il est permis aux personnes les moins fortunées de les lire et de les posséder, . . . ".
Autre souci en cette année : l'admission des enfants de sociétaires (de 10 à 16 ans) aux secours de la société, moyennant un supplément de cotisation.
Dans son rapport, le président souligne la bonne tenue des réunions mensuelles de la société :
"... chaque séance a été remplie par des chants religieux, lecture de P.V., admission de nouveaux adhérents quand il y a lieu, conseils moraux et chrétiens donnés par l'aumônier et le président de la société, et toujours terminée par la prière et le chant du Domine Salvum" ... " afin d'appeler la bénédiction et la protection de Dieu sur l'empereur".
Telles étaient les préoccupations de nos voisins de Recouvrance qui 5 ans après devaient aider à la création de la Mutuelle de Saint-Pierre.

J.P.Madec