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ECHO
DE SAINT-PIERRE N° 244, juin- juillet 2012
Une épicerie d’autrefois
Celle de ma mère
Il n’y a pas de
devanture… Une simple porte vitrée, avec les réclames des bouillons Kub
et Viandox pour vous mettre en appétit. Petite épicerie à peine plus
grande qu’une pièce ordinaire, voici le commerce de mon enfance, celui
de ma mère, devenue épicière par l’acquisition de cette maison avec
boutique. C’était en octobre 1920.
Epicière et mère au foyer …
C’est à l’étage, au-dessus, que j’ai vu le jour quelques années plus
tard. Le temps de marcher seul et de m’ouvrir à la vie, le temps de
m’imprégner de la boutique, le temps encore, ô combien précieux, de la
présence de ma mère. Quelle image !...Ce petit commerce est le lieu
même de la convivialité pour tout un quartier, celui du Barullu (*),
et au delà… Rencontres entre clientes et l’épicière, certes, mais
également avec les marchandes de beurre du vendredi venant de Plouzané,
paniers d’osier au bras et à la main Elles se déplacent, parfois
en car ou en char à banc. L’une d’elles, cousine du côté de ma mère ou
telle autre appelée la « femme triste » on ne sait pas trop
pourquoi, fournissent beurre et œufs principalement. Je ne veux
pas oublier la fermière de Kerdidreun, plus bas, aux produits si
appréciés par les fines bouches. En retour ces femmes se fournissent en
épicerie. Pas dur de faire les comptes !
Chariot bâché, à deux chevaux, c’est la livraison
La commande arrive… Moments appréciés faisant suite au passage des
représentants quelques jours auparavant. Je cite les épiceries en gros
«Cornic»,
« Angué» et «Gelé» de Brest qui alimentent la boutique. Le
transport est assuré par des chariots à quatre roues traînés par deux
chevaux. L’évolution est venue après, avec l’apparition de
camionnettes, la boutique quant à elle restant fidèle à elle-même.
Le commerce et aussi la cuisine
Eh oui ! Petite accalmie aidant, ma mère quittait son comptoir pour
s’en aller tourner le bâton à bouillie. Le vieux fourneau régnait en
maître pouvant même, au-delà de la chaleur, donner une idée de menu aux
clientes. Pour ma part, je n’étais pas utile à grand’chose, au-delà de
l’entretien du feu, avec consigne de ne pas trop insister sur le
tisonnier ! Aux beaux jours, ce vieux fourneau est remisé tout à côté
(il ne supporterait pas le voyage) sous l’étagère à bonbons. C’est que
le printemps est là. Deux foyers apparaissent alors dans la cheminée
finement carrelée de bleu et de blanc. J’aime beaucoup, l’été approche…
Quelle ambiance !
Les senteurs diverses et variées, les caisses que l’on ouvre, telle la
chicorée avec en prime une règle graduée et autres buvards et
protège-cahiers. Les légumes d’autre part sont posés à même le plancher
dans des cageots ovales, au pied des fruits qui se rangent eux, sur une
vieille table. Au dessus, le régime de bananes est suspendu à une
poutre. Plus loin le décor est assuré par une morue salée à hauteur du
regard. Au dessous, le baril d’huile de table distribuée en bouteille,
quand le robinet n’est pas gelé par le froid en hiver. C’est comme çà !
Je vous fais grâce de la mercerie disposée dans un placard d’angle,
voisinant avec les pétards de la Saint Jean, les chaussons, la laine,
les chaussettes, etc...
Et les clientes dans tout ça ?
C’est vrai ! Je les avais oubliées… La meilleure est sans conteste
tante Marie (encore une cousine de ma mère) dont le mari occupe un
poste de gardien à la station des câbles à Déolen. Son mode de
transport est aussi le car, du Conquet jusqu’au bourg de Saint-Pierre.
Sa limite d’achat est déterminée par le volume du grand sac noir qui
l’accompagne. Autres clientes, la mère de famille nombreuse qui glisse
discrètement qu’elle ne peut payer au comptant. Petit conciliabule,
l’épicière comprend… Et puis telle autre, fatiguée par l’âge ou la
maladie à qui il faut un petit remontant puis un tabouret pour
s’asseoir.
Voilà l’ambiance de la boutique de mon enfance celle qui m’a façonné à
travers l’épicière, ma mère… C’était au Barullu et je suis sûr que vous
auriez aimé.
François Kergonou
(*) Barullu est un quartier situé rue des Quatre Pompes. Mémoire
de Saint Pierre a édité un livre "Barullu de mon enfance" en 1996 ;
quelques exemplaires sont encore disponibles (5€) ; téléphoner au 02 98
45 31 56.
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