
Pour étancher sa soif, avant 1960, pas besoin
d’aller loin, on trouvait un bistrot à proximité : 200
mètres au plus et bien souvent plus proche, surtout aux Quatre-Moulins
ou au bourg de Saint-Pierre. Sur la Rive Droite, il devait en avoir une
centaine avec parfois de jolis noms évocateurs comme «Au Repos des
Promeneurs» «Le Lapin Blanc» «Le Panier Fleuri» «Au Bon Pinard» «Le
Terminus»... On dénombrait 4 marchands de vins : Gloanec, Piron-Potin,
Tallet, Corre, sans compter ceux de l’extérieur. Chacun avait son
étiquette «Le vin des Pères», «Sénéclauze», «Santa Rosa (l’ami de
l’estomac)», «La Bonne Vigne», «La Grappe Fleurie» etc.
Un lieu de rencontre
Chaque estaminet
avait sa clientèle, qui variait selon les heures. Dès 7h-7h30, les
ouvriers s’y arrêtaient, un petit réconfort avant l’embauche. Vers 10h,
les retraités faisaient leur apparition par deux ou par trois et
s’installaient au comptoir, toujours à la même place ; l’après-
midi ils se retrouvaient autour des jeux de boules ou de cartes ; la
«coinche», un dérivé de la belote, était particulièrement prisée. Le
soir, les artisans tâcherons se donnaient rendez-vous pour se signaler
les chantiers en cours et établir la continuité : «j’ai terminé la
toiture, tu peux attaquer les plâtres quand tu voudras».
Les bistrots étaient un lieu de rencontre où l’on
refaisait le monde, toute génération confondue. L’ancien, riche de son
expérience, trouvait que les jeunes avaient la vie facile : «de mon
temps dans le bâtiment, ce n’était pas comme ça, il fallait trimer même
le samedi matin».
Convivial
Le tenancier ou la
tenancière appelait chacun par son prénom : «et pour toi François ? -
Comme d’habitude !» Presque tout le monde se connaissait, aussi les
bonnes nouvelles et les heureux évènements, naissance, promotion
voiture neuve : il fallait arroser ça… Certains soirs, l’ambiance
aidant, les esprits étaient surchauffés et le ton des discussions
s’élevait de plus en plus. C’est là que la diplomatie du patron pouvait
intervenir pour réconcilier le tout.
Le téléphone, peu de particuliers en disposaient
chez eux et le cafetier servait de relais. C’est encore grâce au
téléphone, que le dimanche soir, vers 18h, les résultats des équipes de
foot régionales étaient communiqués au patron du bistrot : le Stade Q.
a gagné, la Légion a fait match nul. Les scores étaient affichés sur un
grand tableau accroché au mur et le classement du championnat
réactualisé si besoin.
Que buvait-on ?
On servait du
muscadet ou du vin rouge pour les hommes mûrs et de la bière en
bouteille pour les plus jeunes (on parlait de «bock» comme on parle de
cannette aujourd’hui) ou encore le champagne breton (limonade et rhum).
Le dimanche, certains prenaient l’apéritif. Avant l’apparition des
anisettes, les vins cuits dominaient (Saint Raphaël, Cap Corse,
Dubonnet, Byrrh). L’absinthe et l’eau de Selz avaient été détrônées.
Années 60 : changement
Vers les années 60,
c'est la révolution avec l’arrivée de la bière pression. Les
différentes marques se font la guerre pour installer leurs colonnes et
essayer d’avoir l’exclusivité de la livraison. Tirer un demi n’est pas
à la portée du premier serveur venu : perçage du fût, réglage de la
pression, inclinaison du verre et «coupage» de la mousse ne
s’improvisent pas.
Au même moment, les machines à café se généralisent.
La multiplication des gros percolateurs italiens amplifie la vente des
«petits noirs». Certains représentants se reconvertissent et ajoutent
un nouveau produit à leur catalogue. Les cafés Le Pichon occupent une
bonne place sur ce marché. Du coup certains clients prennent leur
petit déjeuner (café, croissant) au comptoir avant la reprise du
travail.
L’invention de la machine à laver les verres n’est
pas la moindre des révolutions pour les cafetiers. Au revoir à
l’éternel torchon sur l’épaule et bonjour les gains de temps et
d’hygiène.
Malgré toutes ces améliorations, plus de 80% des
bars ont disparu au grand désarroi de la clientèle. En dehors des
bars-tabacs, combien reste-t-il de bistrots ? Pas toujours facile de se
donner rendez-vous ! Les lieux de rencontres se font rares et le lien
social s’effiloche. Encourageons les derniers bistrotiers pour qu’ils
perpétuent la tradition des joyeuses assemblées et
«A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux» !
Jean Pochart
Chez le marchand de vin Tallet à Beg-Avel