Les années trente… C’est un agréable souvenir…De l’autre côté de la
route, le jardin Gouez, le jardin du père Benoît. Cet endroit est
mystérieux car séparé du chemin par un mur tout en hauteur. La porte
d’accès, vermoulue, entretient le mystère car n’étant pas souvent
ouverte. Ceci attise d’autant la curiosité. Pour mieux découvrir ce
paysage, il me faut monter à l’étage de ma maison …Juste en face...
Au fond tout là bas, une ancienne et petite carrière, ouverte
vraisemblablement pour fournir la pierre lors de la construction du
mur. A présent le lierre, retombant, la dissimule en partie pour
devenir le paradis des oiseaux. Sur la gauche, une cabane abrite le
vieux jardinier et ses quelques outils… Dans un décor si paisible, le
père Benoit est enclin, c’est sûr, à y faire la sieste. Le
dimanche, jour de repos par excellence, la famille vient même y
passer la journée, préparation des repas comprise. D’ailleurs, quoi de
plus simple puisque la petite épicerie de ma mère est ici, de l’autre
côté de la route. Cinq sous de moutarde, servie dans un verre ou deux
sous de sel dans les mêmes conditions, sans parler des petites
douceurs, quelques bonbons à la sortie, puisque c’est dimanche. Le
bonheur parfait quoi !...
C’est un havre de paix
et de tranquillité, les oiseaux n’y manquent pas, ils se sont emparés
de l’endroit. Leurs cris et leurs chants font merveille. En hiver des
bandes d’étourneaux viennent même, hardiment, s’accrocher
aux branches supérieures des quelques pommiers. Grande activité,
donc, dans le jardin du père Benoît !...
La pique aux pommes
Et moi dans tout ça ?...Eh bien, je suis là assis devant la fenêtre
grande ouverte, contemplatif, le menton reposant sur les avant-bras… Au
dessus de la porte du jardin trône un imposant pommier couvert de
fruits rouges à l’automne, objet de la convoitise des habitants du
quartier et, particulièrement, des enfants …Cela vous étonne ? …
Pensez-vous que, sous leurs mines innocentes, les garçons d’ici et
d’ailleurs y restent insensibles ?...Que non… En ce temps-là, la route
était simplement empierrée d’où une réserve importante de projectiles
dans le fossé. Vous avez compris la suite…Quelques cailloux
délicatement lancés et les pommes roulent dans l’allée en pente à
l’intérieur du jardin. Allongé, l’un des garnements, glisse sa main
gourmande sous la porte, quelquefois aidée d’un bâton. Pas très beau
tout ça !… Plus bas, finissant vers la maison du lavoir, le mur de
soutènement, aux pierres disjointes, supporte une haie d’aubépines. Ma
mère n’apprécie pas que nous nous approchions de cet endroit car,
dit-elle, c’est un repaire de salamandres. Ces petits animaux
bariolés de jaune et de noir, de la famille des lézards, n’ont guère
bonne presse dans le quartier, ils sont même accusés de sauter aux yeux
de ceux qui oseraient trop raser les murs, étonnez-vous après cela que
nous prenions nos distances !...C’est là aussi, le charme du Barullu
avec, déjà, comme un parfum d’aventure en quittant la maison. Vers le
lavoir, un autre univers s’ouvre à nous, moins redoutable et plus
accueillant si l’on excepte les quelques vipères censées se promener
entre les cigües, près du ruisseau…Eh oui !...
Et puis les années ont passé, beaucoup d’années, le pommier comme le vieux jardinier, ont disparu…
Vois-tu, père Benoit, ton souvenir plane encore …
François Kergonou

Sur la photo de cette classe de 1939, vous reconnaîtrez peut-être un piqueur de pommes