La jetée du port militaire aux Quatre-Pompes
avec ses pêcheurs et promeneurs

Imaginez-vous près de la mer, en bas de la
route des Quatre pompes, en 1930 : La base des sous-marins n'existe pas
encore...
La digue (*) que l'on voit ci-dessus était
alors libre d'accès, ouverte aux piétons comme aux
vélos et aux quelques rares pétrolettes de
l'époque. Pour ma part, je n'y ai jamais vu de voiture tentant
pareille aventure !
A partir des vacances
d'été, nous, les garçons, étions plus que
souvent dans ces parages, notamment pour la pêche aux greniks
(chinchards). Cette pêche était d'ailleurs tellement
abondante qu'elle nécessitait régulièrement des
élans de générosité près des voisins
de quartier ! Mais à force, ils commençaient par faire
les "difficiles" et notre bonté se reportait alors sur les
chiens et , surtout, les chats qui finissaient, eux-aussi, par se
lasser... La renommée du pêcheur se déterminait au
nombre. Avec un grand recul, on ne peut pas dire que ce soit la
meilleure stratégie !
Bref, nous n'étions pas les seuls, loin de
là ! Les radeaux d'accostage des baleinières qui
desservaient les trois bâtiments-école amarrés en
face, étaient couverts de pêcheurs (les 3 bâtiments
formaient une seule école, l'Ecole des Mousses) ! Ces
embarcations assuraient leur service avec une certaine
difficulté : c'était plus que plein sur les pontons...
Actifs et retraités se retrouvaient là,
particulièrement en fin de semaine, avec un engouement
partagé pour ce type de loisir. Certains y restaient toute la
journée, ayant pris soin d'envoyer leur casse-croûte et,
surtout, de quoi l'arroser. Et puis, au-delà des chinchards,
pêche facile, tout le monde espérait le maquereau ou
l'aiguillette et, plus rarement, le saint-pierre, sans aucune
parenté avec notre joli bourg. Pour compléter le
décor, mais surtout pour fuir la cohue et le brouillage des
lignes, d'autres pêchaient directement de la digue avec leur
gaule. Là étaient les plus fins et les meilleurs, sans
conteste, en qualité de prises...
On venait de partout...
Ainsi se dessinait l'ambiance de la digue en
été. Mais elle ne s'arrêtait pas là, car la
jetée recevait également les promeneurs du soir (quelle
douceur !) ainsi que ceux du dimanche. Ces derniers venaient de
partout, qu'ils soient de Recouvrance ou d'ailleurs, débouchant
par la Corniche ou, tout simplement, débarquant du tram, au
bourg de Saint-Pierre. Quel bonheur de descendre la vallée !
Certains messieurs coiffés d'un canotier et arborant la canne
à la main, s'il vous plaît, accompagnaient les belles
dames dissimulées sous leur ombrelle. Et nous, les
garçons du Barullu et d'ailleurs empêtrés dans nos
lignes !...
La pêche n'est pas finie...
Le temps gris, et ça arrivait parfois,
était, parait-il, favorable à la pêche aux
congres... Équipés d'une ou deux lignes de fond de 25m en
chanvre brun, achetées chez Deudé (**), on partait pour
la pêche-émotion : Le principe était de garnir deux
gros hameçons et de lancer cette ligne dans
l'élément. Tout un art dans le déroulement...
Alors, maintenant, un galet, sur un tour de ligne, tout au bord... "Et
l'émotion dans tout ça ?" me direz-vous... Eh bien !
C'est quand le galet plonge et avertit... Humblement, je dois
dire que cela n'est guère arrivé souvent, ce qui
d'ailleurs ne chagrinait personne et surtout pas mes parents car on
n'aimait pas trop le congre à la maison. L'a-t-on d'ailleurs
jamais vu ?...
Cette digue offrait un point de vue incomparable
à la rentrée de l'escadre. Plus d'une vocation s'est,
sans doute, déterminée ici... Peut-être,
même, la mienne.
(*)la digue crée en 1839, ne faisait alors que 70m.
(**)un magasin "Ty trouve tout", au bourg, à l'emplacement de l'ex bouquiniste
François Kergonou