ECHO DE ST-PIERRE N° 17, Janvier 1990

LES QUATRE-POMPES (I)


Tout près de la mer, il existait autrefois une anse charmante, entourée de verdure, où finissait de gazouiller une eau abondante et limpide venue de la vallée.
Cette vallée prenait son nom de la chapelle Sainte Brigitte, située à environ deux cent mètres au sud du Bourg de Saint Pierre; et, tout ce lit de verdure et de prairies descendait vers la rade, amenant le débit d'eau d'au moins six fontaines. Cette eau était réputée très pure et de bonne conservation.
La Marine Royale, à la fondation du Port de Brest, décida d'y approvisionner ses navires et entreprit un captage sur quatre fontaines.
L'anse de Saint Brigitte devint les "Quatre Fontaines" et c'est pour la première fois, le 18 novembre 1719, que l'Etat Civil fait mention du lieu-dit des "QUATRE POMPES".
Bien des travaux furent nécessaires pour le captage des eaux.
La première conduite en maçonnerie, que nous appellerons aqueduc, fut établie en 1690 par Jongleur.
La longueur totale de cet aqueduc était d'environ 800 toises (la toise = 1 m 949) soit environ 1 500 mètres.
Partant du bourg de Saint-Pierre, il collectait les eaux sur son passage. Fort heureusement d'ailleurs, car cette conduite avait tendance à s'obstruer, surtout dans sa partie haute, et, en 1734, on dut la réparer sur une longueur de 500 toises soit plus de la moitié du réseau.
Les vaisseaux, de ce fait, étaient parfois obligés de s'approvisionner en ville où ils ne trouvaient pas une eau aussi bonne que celle de notre vallée...
En 1743 d'autres travaux furent nécessaires, et Mr Frezier, dans un mémoire du 3 septembre de cette même année, proposa de ne conserver de cette conduite que 400 toises, la quantité d'eau recueillie lui semblant suffisante.
Le travail exécuté, suite à ce rapport, eut pour conséquence de réduire de plus de moitié les premiers canaux et l'abandon de 500 toises de l'ancienne conduite fut si complet que la Marine " finit par en perdre le souvenir ".
Quand elle entreprit en 1839 et en 1848 les travaux d'extension des "QUATRE POMPES", elle fut très étonnée de trouver les traces d'un canal au-delà d'un point que, depuis longtemps, elle regardait comme la limite extrême de sa prise d'eau.
Mais d'autres travaux allaient compléter l'infrastructure d'approvisionnement en eau de la Marine.

F. Kergonou

(à suivre...)




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MEMOIRE DE ST-PIERRE N° 18, Février 1990


LES QUATRE POMPES (II)


D'après les notes et archives de Michel Floch, historien de ST-Pierre.
En 1784, naissait un premier projet pour mettre les navires, venant s'approvisionner, à l'abri des vents dominants ... Un autre projet, celui de Mr Trouillic, lui succéda en 1808, recevant même un commencement d'exécution, mais les matériaux employés "étaient petits et de mauvaise qualité", la mer les emporta ...
Ce n'est guère qu'en 1837 qu'on songea à faire une AIGUADE (1) qui puisse satisfaire à tous les besoins des bateaux sur rade.
De nouveaux projets furent donc présentés par Mr Petot, ingénieur, qui fit jauger les six sources possédées par la Marine dans la vallée Sainte Brigitte. Il indiqua les travaux à réaliser pour retenir les eaux, les filtrer, avant leur introduction dans la cuvette de prise d'eau qui serait construite sur la grève et dont les abords seraient garantis par une jetée, formant abri par les chaloupes et citernes flottantes, chargées de la distribution d'eau.
Les plans de Mr Petot ont donné lieu, dans la période 1839 - 1848, à l'établissement de l'Aiguade des Quatre Pompes, à une demi lieue de l'entrée du port (la Penfeld) et à 450 mètres du retranchement du Portzic. Le débit des eaux fut porté à 270 000 litres en douze heures ...
L'aiguade a été exécutée de manière à ne gêner aucunement la défense de la rade. Elle se compose d'une jetée ou môle, le réservoir d'une capacité de 440 m3 est adossé à la colline, la jetée s'y attache pour se prolonger dans la mer sur une longueur de soixante-dix mètres, elle se retourne ensuite vers l'est pour se terminer par un musoir fondé sur une roche saillante. Dix robinets disposés à l'intérieur de la jetée suffisent pour le ravitaillement de trois citernes flottantes ou de quinze chaloupes, ces dernières pouvant accoster, même aux mortes eaux.
Le gardien de l'aiguade est logé, quant à lui, près du réservoir dans une maisonnette qui domine l'ensemble de l'établissement. Il veille à la conservation de l'ouvrage et "fait l'ouverture ainsi que la fermeture des robinets".
Mais est-ce dû aux eaux ménagères du bourg ou toute autre raison ? Vers les années 1890,la qualité de l'eau se dégrade. La Marine décide alors que cette eau ne servirait plus qu'aux usages tels que l'alimentation des chaudières et le lavage du linge. C'est alors que les eaux de la vallée de Pont-a-Louët vont prendre le relais. Les travaux, adjugés le 22 octobre 1902, se feront sur deux ans. Les réservoirs des Quatre Pompes seront portés à une capacité de 1500 m3. Il importe de noter le rôle fort utile joué par ces sources dans l'approvisionnement de nos navires de guerre. Mais l'histoire des Quatre Pompes ne s'arrête pas là. Savez-vous qu'il y existait une usine, dotée d'un outillage puissant et moderne? C'était il y a 120 ans ...

F. KERGONOU

(1) Aiguade (égad): lieu où les navires peuvent se ravitailler en eau douce


(à suivre)


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ECHO DE ST-PIERRE N° 19, Mars 1990


“LES QUATRE POMPES” (III)


D’après les notes et archives de Michel Floch, historien de St Pierre.
L’USINE
Lorsque, longeant la rade, depuis les remparts de Recouvrance jusqu’à Sainte Anne du Portzic, les Brestois empruntaient le tortueux chemin de la Corniche, ils pouvaient voir, avant 1940, face à l’anse des Quatre-Pompes, une bâtisse à l’allure fière et bourgeoise... Elle était bien incluse dans la lignée de maisons qui formaient le quartier des Quatre-Pompes, tranquille et heureux, face à la mer.
Quelques personnes cependant, savaient qu’il y avait eu ici “quelque chose” autrefois. Plus bas, régulièrement recouvert par la marée, il y avait comme une ruine, le p’tit môle comme nous l’appelions, et tout à côté, en direction de la Maison Blanche, plongeant dans la grève, un vieux mur que les Quilbignonnaises, en quête d’ombre, en ces dimanches d’été, venaient, après les vêpres, égayer de leurs blanches coiffes. A moins qu’elles n’aient préféré, un peu plus haut, les doux ombrages du sentier du Ménez...
Mais revenons... Il avait donc existé “quelque chose”. Nous savons que ce fut une usine importante, dotée d’un outillage moderne, tournant, sans interruption jour et nuit. Que faisait-elle donc ?...
Je vais vous le dire, mais c’était bien avant 1900... Sur le fronton, l’on pouvait lire ceci :


ATELIER DE L’AIGUADE
MECANIQUE -FORGE
CHAUDRONNERIE
FONDERIE

Cette usine fournissait la Marine et l’industrie privée. On y confectionnait des chaudières et des machines à vapeur. Les fours transformaient la ferraille, les forges façonnaient les essieux et les laminoirs des rails. Un matériel important était fourni au service des Phares et aux Ponts et Chaussées. Bref, toute une activité, bien diversifiée. Un travail roulant, de 20 tonnes, installé sur le quai d’embarquement, chargeait les caboteurs dont certains venaient du Havre.
C’était donc important... Dans la région, l’établissement était connu sous le nom de “Petit Creusot”. Mais quelle était donc son histoire ?
Une usine proche de l’Arsenal pouvait certes avoir bien des débouchés. C’est en 1867 que cette idée germa dans l’esprit de Henri FLAUD. Celui-ci, né à Dinan en 1806, était sorti le premier de sa promotion de l’école des Arts et Métiers d’Angers en 1834. Doué de qualités exceptionnelles, il travailla d’abord à Paris. C’est là, fortuitement, lors d’une exposition, qu’il rencontra le jeune ingénieur Giffard. Ce nom ne vous dit rien ?... Mais si ! Il était, et demeure, très connu dans la Marine. Pensez aux fameux injecteurs à vapeur, pour l’alimentation des chaudières ! Ce brevet, très simple, mais combien efficace, a fait le tour du monde. C’était le fruit de la collaboration Flaud-Giffard et l’usine des Quatre-Pompes en était la concrétisation.
Celle-ci fut terminée en 1869 mais, hélas, la mort de Henri Flaud, le 12 Août 1874, bouleversa les projets les plus ambitieux. Faute de directeur, elle cessa son activité...
Par la suite, elle fut vendue... La Marine Nationale fit l’acquisition des terrains et bâtiments, en bordure de la route des Quatre-Pompes, pour devenir la “Poudrière” que certains d’entre nous ont connu avant-guerre.
Pour le détail, sachez que l’horloge de l’usine marqua les heures, au clocher de St-Pierre, de 1876 à 1931 et qu’une pompe, achetée par la commune, de St-Pierre également, inaugura la création du Service Incendie. Cette pompe contribua d’ailleurs à combattre l’incendie de la Chapelle de Sainte-Anne en 1929.
Le quartier des Quatre-Pompes, son pardon, sa grève, sa digue en était le lieu de promenade privilégié des Brestois, et des Quilbignonnais en particulier, avant 1940. L’incendie des cuves à mazout n’en a laissé que des pans de murs noircis...
Conservons, néanmoins, l’image attachante et conviviale de l’époque.



F.Kergonou


P.S. : Au bas de la route des Quatre-Pompes, ne vous fiez pas au panneau de localisation “La Maison Blanche”. C’est bien ici, face à la porte de l'arsenal qu’était le vieux quartier. Ce signal ne la sait sans doute pas.