ECHO DE SAINT-PIERRE N° 158 - Décembre  2003

 

LE MYTHE DU LOUP

Durant des siècles dans notre région, le loup fut l’objet d’un mythe que la mémoire populaire de nos anciens a propagé jusqu’à nous. A l’occasion des veillées d’autrefois, au coin du feu, les récits concernant cet animal servirent de prétexte à susciter la crainte et la vigilance face à sa férocité supposée ou non. De nombreuses anecdotes inventées s’éloignant parfois de la réalité furent véhiculées oralement dans les chaumières et attribuèrent au loup une légende usurpée, propre à satisfaire néanmoins l’imaginaire breton. Ainsi plusieurs générations ont focalisé autour de cet animal toute leur peur ancestrale et généré des passions qui ne pouvaient être que préjudiciable à la survivance du loup. Sa crainte était telle que pour calmer un enfant dissipé, on le menaçait de la venue du loup. Au XIXème siècle la prime qui fut attribuée pour chaque animal abattu allait précipiter sa disparition. Le dernier loup vivant fut aperçu en 1906 dans les monts d’Arrée, entre Brasparts et Loqueffret, encore n’avait-il que 3 pattes. Un piège ayant sectionné la patte manquante.

A Saint-Pierre-Quilbignon, le hameau de Kerarbleiz (en Breton = village du loup) qui se situait autrefois au niveau de la rue du même nom, non loin du stade de l’ASPTT, ne porte-t-il pas en son appellation bretonne la justification de la présence du loup en ce lieu, quelques siècles auparavant ? Nombre de bretonnants peuvent attester que les noms des fermes ou hameaux qui peuplaient la campagne léonarde ne furent jamais attribués au hasard.

Cambry qui visita le Léon en 1794, cite le loup parmi les animaux sauvages rôdant dans nos campagnes, sans s’émouvoir pour autant que cette promiscuité fut dangereuse pour l’homme. Par contre le chanoine Moreau qui décrivit en son temps et avec force détail les horreurs occasionnées par la guerre de la Ligue en Bretagne, à la fin du XVIème siècle, désigne le loup comme un charognard qui dévore les cadavres et qui à cette occasion a pris goût à la chair humaine.

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, la présence du loup, dans notre terroir de Quilbignon est attestée par de nombreux récits. Aujourd’hui encore, quelques anciens Quilbignonnais se remémorent avec nostalgie les propos tenus par leurs grands-parents qui racontaient que durant les veillées d’autrefois le sujet était couramment évoqué. Untel n’avait-il pas fait fuir le loup qui le suivait en frappant avec ses sabots, comme on frappe avec des cymbales. Un autre n’avait-il pas allumé une torche, qu’il fit tournoyer autour de lui mettant l’animal apeuré en fuite. Ma grand-mère qui était originaire de Tréglonou, me dit qu’un troisième, a vu un loup efflanqué et affamé fuir à sa vue et traverser à la nage l’Aber Benoît, en direction de Lannilis ; c’était vers 1890. De tels récits fort plausibles sont naturellement invérifiables, mais ils confirment que le fait d’en avoir entendu parler vaut d’être apprécié comme une preuve de l’existence du loup dans notre région. Le dicton ne dit-t-il pas : « Quand on parle du loup ….. ».

Quelques Quilbignonnais se souviennent qu’autrefois on lisait chez eux, avant de se coucher, un passage du livre relatant la vie des saints bretons. Ainsi dans le mysticisme religieux de ce livre, le loup personnifiait le mal au même titre que le dragon, encore que les saints de l’époque avaient le pouvoir de le rendre inoffensif. Saint-Ronan ne commande-t-il pas à un loup de lâcher l’agneau qu’il tenait bien serré dans sa gueule et Saint-Hervé ne condamne-t-il pas un loup qui venait de dévorer son âne, à tirer sa carriole en réparation du préjudice.

De tous temps le loup a engendré toutes les caricatures possibles. Ainsi plagiant Esope, le fabuliste Jean de La Fontaine en a fait un animal sournois, féroce, plein de rage cherchant notamment querelle à un agneau innocent qui troublait son breuvage. Encore faut-il voir là une parodie de certains agissements humains dénonçant les puissants d’alors (et pourquoi pas d’aujourd’hui) qui abusent de leur force.

Aujourd’hui les loups ont disparu, mais les hommes qui se comportent comme des prédateurs sont toujours là. Afin de détourner l’attention de leurs actes inavouables, ne sont-ils pas souvent les premiers à crier au loup. Puissions-nous les confondre sans faiblesse, comme on a autrefois sans pitié condamné le loup, ne serait-ce que pour réhabiliter ce pauvre animal qui fut chargé de tous les maux et de tous les vices.

M.Baron.