ECHO DE SAINT-PIERRE N° 135 - septembre 2001

 

 

En hommage à mes compagnons de la Défense Passive, aux victimes de la guerre et à la courageuse population de Saint-Pierre Quilbignon, lors de ces évènements tragiques ...

    Le grand bombardement du 11 août 1944, vers 16 heures, dans le secteur de la route des Quatre-Pompes

    J'ai récemment assisté à la projection de séquences de guerre, à l'abri Sadi Carnot, par la cinémathèque de Bretagne. Le cri lugubre et répété des sirènes, le fracas des bombes  m'ont bouleversé et incité à écrire ces quelques lignes pour l'Echo. Un extrait de ce drame se trouve à la page 82 du nouveau livre Saint-Pierre Quilbignon (édition "le Télégramme"), et voici la suite ...

    Le quartier de notre Barullu pleure, il n'est plus reconnaissable. La route est couverte d'ardoises, de zinc, de pierres, de terre... Au loin, le vrombissement des avions qui s'éloignent...

    Je suis déjà arrivé au bas du quartier quand survient une nouvelle vague. Les bombardiers apparaissent, très haut dans le ciel. Les bombes commencent à tomber et je me couche à plat ventre, dans le lit du ruisseau, face à la maison Lars-... L'eau qui coule nie rafraîchit le corps et le visage... c'est la vie et au-dessus c'est la mort ! Les pierres  tombent de partout, le fracas est assourdissant. Quelques minutes encore puis je me relève, dégoulinant d'eau et de vase. Peu d'importance. Les avions s'éloignent vers la mer et je vais pouvoir rejoindre le chemin de Kerdidreun, à moins de 200 mètres plus bas, dans l'enfer qui se dessine.

    Mes deux compagnons de départ sont déjà au travail sous les yeux du guide. Mais au fait, pourquoi cet endroit ? "parce répond le capitaine, on a trouvé un paquet de tabac à cet emplacement" . J' fais remarquer que ceci me semble d'autant plus étrange que l'ensemble du paysage est couvert de terre. Je connaissais assez les lieux pour me souvenir que la tranchée-abri se trouvait bien plus haut vers le talus. Et puis voici que le ciel nous envoie un moment de silence, assez de temps pour entendre des appels qui viennent de la terre. Une chance ! Quelques coups de pelles et de pioche et nous voyons voyons bien vite les fagots puis les traverses qui composent le toit d'un abri. Soudain, ô combien saisissant, le premier visage. C'est celui de Madame Mao, opulente et sympathique fermière - deux à trois vaches - qui depuis fort longtemps livre son beurre, quelques livres, au petit commerce de ma mère. D'un mètre à l'origine, la tranchée s'est refermée sur ses occupants pour ne plus faire que trente à quarante centimètres. Les personnes, elles, sont treize et ont, pour la plupart le nez et les jambes cassées, ces dernières coincées par la planche qui fait office de banc. On creuse ! on creuse ! On arrache enfin le banc dans d'affreux cris de douleur. Quelle émotion et quelle rage dans l'action ! De temps à autre, le bombardement semblant terminé, c'est le passage en rase-mottes d'avions légers mitraillant tout devant eux. Ils nous prennent pour des Allemands sans doute ... Très vite, nous nous abritons au pied du mur d'enceinte de la propriété toute proche de notre ami Yves Pleyber. 

    Mais, venus du bourg, et d'ailleurs, d'autres sauveteurs nous ont rejoints. Sur les 13 victimes de ce drame, nous réussissons à extraire douze vivantes. La treizième, une dame d'une quarantaine d'années, étant morte, étouffée par la terre. Au fait, quelle heure était-il ? Pas de montre, huit heures, du soir peut être...

    Lentement, fatigués, nous remontons notre pauvre route des Quatre-Pompes, coupée par d'énormes cratères, en ce jour de terreur. Arrivés à la hauteur du Barullu Izella (face au N° 70 de nos jours), beaucoup de monde. Une douzaine de personnes ont été tuées dans un abri sommaire dans le creux d'un talus. Les victimes sont alignées sur une haie, couchées à l'horizontale, par le souffle des bombes. Quelqu'un demande d'identifier les gens de mon quartier ; c'est très dur ! Je pleure pour toi Annick Cabel, partis dans la jeunesse de tes 18 ans, ton papa ne sera pas retrouvé ce jour-là. Ta maman, restée chez elle, a eu la vie sauve, mais devant un tel malheur, son esprit s'en est allé. Dans chaque famille c'est la détresse, c'est un spectacle de fin du monde...

    A la nuit presque tombée, retour au bourg où une bonne soupe nous attend, offerte, ainsi qu'à toute la population présente par des gens au grand cœur. Entre beaucoup d'autres, je pense ici à André Pellé, recteur de St-Pierre, qui munie la louche près du presbytère et Anatole Carval qui en fait tout autant près du lavoir. La vie continue mais nous n'étions pas au bout de nos peines.

F. Kergonou