ECHO DE SAINT-PIERRE N° 118 - Decembre 1999

La roche du Mingant, funeste écueil du goulet

 

    C'est durant l'ère quaternaire, il y a quelques 3 millions d'années, que la passe dite du goulet s'est formée par l'érosion d'une faille datant d'un plissement hercynien antérieur. Auparavant selon la théorie aujourd'hui admise et exposée par Bernard Hallégouët, dans les années 1970, les eaux de l'Elorn e t d e l'Aulne, réunies en un tronc commun, se jetaient dans l'Aber Ildut empruntant la dépression de la Penfeld et la vallée de Saint Renan. Mais cette érosion fluviale et maritime du goulet fut imparfaite car elle laissa subsister de nombreuses roches particulièrement dures, dont l'une d'entre elles, bien connue, est celle du Mingant.

    Lors de l'aménagement du port de Brest cette roche dangereuse, affleurant l'eau au milieu du goulet, donna à Vauban l'occasion d'y faire construire une fortification défensive de 18 pièces de canons. Dans un mémoire sur la défense de Brest, qu'il adressa au roi en 1683, Vauban démontre les avantages d'une telle construction. " Les batteries pourraient battre les navires d'écharpe de l'étrave à l'étambot, en venant dans la passe; et d'étambot à l'étrave, en sortant dans la passe ; pendant que les grandes batteries de la côte (celles de Cornouaille et du 1,éon) les abîmeraient à coups de canon de part et d'autre par le travers" . 

    Vauban adopta en réalité l'idée de l'intendant de la marine Pierre Chertemps de Seuil qui la fit approuver par Seignelay, ministre de la marine et fils de Colbert. De 1683 à 1685 Vauban s'acharna à réaliser ce projet téméraire que les tempêtes et le courant, décuplé par les fortes marées, rendaient difficile à exécuter. Les éléments déchaînés détruisaient tout, en rejetant systématiquement à la mer les empierrements successifs péniblement édifiés. Cet échec de Vauban n'entacha point sa renommée d'autant qu'il s'attela à d'autres projets non moins ambitieux, mais plus réalisables.

    Pendant la révolution, à la fin de 1794, l'assemblée nationale ordonna à la flotte basée à Brest d'effectuer, contre les Anglais, une hasardeuse opération de diversion. L'escadre française, commandée par l'amiral Villaret-Joyeuse depuis la destitution de Morard de Galles, était dans un état désastreux. Ce dernier amiral fut discrédité par la mutinerie de Quiberon de septembre 1793, qu'il n'avait pu prévenir. L'escadre venait par ailleurs de subir, en mai et Juin 1794, de graves dégâts et des pertes humaines importantes afin de pernettre, malgré le blocus anglais, l'arrivée à Brest d'un convoi de ravitaillement franco-americain. C'est donc une escadre de 32 vaisseaux, bien mal en point, à peine remise de ses blessures, qui appareilla par un temps exécrable, le 24 décembre 1794, pour cette périlleuse mission. Suite à la pénurie de matelots et d'officiers expérimentés, des équipages novices affrontaient la mer pour la première fois. Le goulet était à peine atteint que le désordre s'installa parmi les navires qui manœuvraient pour éviter les abordages. Dans la confusion générale, le Républicain, un superbe vaisseau de 110 canons talonna la roche Mingant sur laquelle il resta accroché jusqu'au petit matin, avant de se disloquer complètement. Il y eut de nombreuses victimes et pour, éviter un désastre plus grand, Villaret-Joyeuse fit mouiller l'escadre qui ne repartit que 7 Jours plus tard. Cette Mission se solda par un nouveau désastre car le 2 février 1795 , seulement 25 bateaux rejoignirent Brest dont plusieurs av, ec les cales entièrement noyées.

    Le "Républicain", ex "Royal-Louis", construit à Brest en 1779 (lancé en 1780) était un vaisseau possédant 3 ponts et mesurant 190 pieds de long (environ 0-3 mètres). Lors de sa construction il échappa à un incendie apparemment accidentel, mais le destin voulut que 15 ans plus tard, la redoutable roche Mingant scella définitivement sa carrière. La malchance .... Peut-être pas car en pareilles circonstances l'ordre est plus condamnable que sa mauvaise exécution.

Michel Baron