ECHO DE ST-PIERRE N° 100 avril 1998

MOULINS ET MEUNIERS D’AUTREFOIS A ST-PIERRE QUILBIGNON


Neuz ked hardisoc’h eged roched eur miliner, rag beb mintin e pak eul laer.
Ce vieux proverbe ironise, non sans humour, sur la chemise d’un meunier qu’elle trouve bien téméraire de prendre chaque matin un voleur au collet.
Cette mauvaise et tenace réputation se retrouve dans de nombreuses citations bretonnes, et remonte aux temps lointains des moulins banaux qui jouissaient de l’exclusivité à moudre les blés des paysans tenanciers ou exploitants d’une terre seigneuriale. Cette servitude ou banalité découlait du droit féodal de propriété que toute seigneurie nobiliaire, ecclésiastique ou roturière exerçait.
En ces temps anciens, les moulins, source de revenus seigneuriaux, étaient affermés, c’est à dire loués à des meuniers qui devaient s'acquitter d’un fermage souvent excessif. En outre, les Etats de Bretagne n’étaient pas en reste de prélèvements fiscaux qu’ils opéraient par l’intermédiaire du “corps politique” (assemblée paroissiale de notables gérant le temporel) et dont les égailleurs (ou répartiteurs d’impôt) avaient pour mission de répartir en fonction des revenus réels ou supposés
Dans cette répartition, les meuniers se trouvaient pour la plupart fortement imposés. Pour salaire, la coutume voulait qu’ils prélèvent la farine au seizième de la quantité de mouture obtenue. L’approximation des mesures jouait souvent en leur faveur, au détriment des paysans.
Sous le vocable général de blé,les paysans cultivaient du seigle, de l’orge, du sarrasin ( blé noir) ou du froment. Dans notre région du Bas Léon, ils confiaient souvent au meunier un mélange de seigle, d’orge et de froment qu’ils appelaient métilh ou mistillon.
A la fin du 18ème siècle, la paroisse de St Pierre Quilbignon comptait dans ses limites au moins une vingtaine de moulins. Ces moulins (sans parler des tanneries et autres moulins à sciure) étaient pour la plupart actionnés par l’énergie de nos ruisseaux. Cependant quelques moulins à vent existaient, notamment sur les hauteurs exposées de Trémilleau. Aujourd’hui, le nom du quartier des Quatre Moulins pérennise à jamais leur existence. Quant aux moulins à eau, il suffit de faire l’inventaire de nos ruisseaux pour découvrir au détour d’une mare de retenue, d’un rétrécissement du cours, d’une légère cascade, toute probabilité de l’existence ancienne d’un moulin De plus, en furetant dans les archives, quelques cartes, certes incomplètes, nous renseignent sur le sujet
En suivant d’amont en aval le cours du ruisseau de Pont-Cabioch, qui forme avec Guilers la limite nord de la paroisse, quelques signes ou ruines nous rappellent l’existence des moulins de Lanniguer (ou Laniguer), de Kerinvin (ou Kerivin), de ar Roux, de Kergo (ou Kergoff), de Pen ar Pont Cabioch et du Buis. A Lanniguer , sur la route de Kerivin Vao, non loin de Kermoing (ou Keramoing) deux pierres de granit taillées et dressées, portant des rainures verticales, indiquent, à la curiosité du passant, l’emplacement d’une vanne coulissante en bois, servant à la retenue de l’eau
A notre limite Ouest, sur le ruisseau de Sainte Anne du Portzic, marquant notre séparation de Plouzané, se situaient autrefois les moulins de Lannével Bihan et celui dit du Portzic Entre ces deux moulins, non loin du hameau du Névent, les restes d’une construction semble attester l’existence d’un autre moulin
Dans la vallée de la Maison Blanche ( autrefois port Houarné) se tenaient les moulins du Pont d’Allouet (Pont a Louet), du Lanneuc, du Hildy et de Pontouarnec Sur les versants du vallon des Quatre Pompes se situaient les moulins de Kernein Vian et de Kerdalaez Dans le vallon de la Grande Rivière existait un moulin du même nom Près des rives de la Penfeld, entre le hameau de Langoulouarn et la Villeneuve, se trouvait semble-t-il le moulin de Prat ar C’houlm
Cette liste assurément incomplète ou imprécise permettre, nous le souhaitons, à la mémoire collective de nos lecteurs de s’exprimer et d’apporter au Groupe Mémoire de St Pierre les précisions manquantes ; car loin des grandes routes, nos sentiers creux et nos ruisseaux ombragés, détiennent encore bien des secrets Mais au hasard d’une promenade, leur découverte nous attend peut-être

M BARON

Nota : Le moulin de Kerminis attesté par OGEE n’a pu être situé (peut-être s’agit-il de Kernilis)

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ECHO DE SAINT-PIERRE N° 103 - Juillet Août 1998.


A la découverte de notre passé


Les randonneurs et la Mémoire...
Forte de la complémentarité de ses diverses sections, la Maison de Quartier de Saint-Pierre Quilbignon a souhaité innover cette année, en associant à l’expérience du terrain que possèdent les uns, la connaissance de l’histoire de la région, que maîtrisent les autres. Sur cette base, tout naturellement, deux groupes se sont retrouvés, pour mettre en commun leur dynamisme et leur connaissance réciproque. Il s’agit, d’une part, du groupe de randonnées que dirige avec sagacité Rosanne Morvan, et du groupe Mémoire de Saint-Pierre, qui vient de fêter en 1997, ses 10 ans d’existence, et qui désire partager et élargir à tous, le fruit de ses travaux et recherches. Ainsi furent programmées deux randonnées “Découvertes” respectivement les 30 Avril et 23 Mai, avec pour thème, les moulins d’autrefois et d’aujourd’hui.
Sous nos semelles, notre passé...
La première randonnée, forte d’une trentaine de marcheurs ( des marcheuses en grande majorité), s’était fixée pour but de reconnaître les lieux le long des rives du ruisseau de Pont Cabioch. L’intérêt étant de faire renaître à notre curiosité un passé laborieux qui, il y a quelques siècles, consacrait ici une activité essentielle à la vie : moudre le grain. La topographie des lieux étant faite, et l’historique étant évoqué au travers de l’ordre social qui prévalait au 18ème siècle, le groupe de randonneurs possédait dès lors assez d’éléments, pour découvrir les indices éventuels nous révélant, sous la frondaison envahissante, les vestiges des moulins d’autrefois. Une pierre dressée, un pont moussu enjambant le ruisseau au débit mal contrôlé, un pan de mur ravagé de lierre, quelques rares édifices mutilés par le temps, nous attestent qu’une page de notre passé est là, sous nos yeux fureteurs, loin du regard indifférent de ceux qui passent sans voir, sans comprendre, qu’une partie de notre histoire quotidienne s’est forgée là, modestement, humblement, jour après jour. Mais la bonne humeur est également au rendez-vous de la randonnée, et le pique-nique fut l’occasion d’en faire la démonstration en chansons.
Des crêpes de Chine ?
La deuxième randonnée, plus ciblée, avait pour cadre, la visite du moulin du Buis, où nous attendait Ambroise Floch, meunier et maître en ce lieu. Ici le rêve se dissipe, car la modernité s’est imposée là comme ailleurs. L’eau n’est plus depuis longtemps un élément nécessaire à la force motrice d’un moulin, tout est désormais électrifié et automatisé. Aujourd’hui, le progrès oblige, et le rendement suit, ainsi la quantité de farine produite est sans commune mesure avec celle que produisait, en son temps Jean Bergot, ancien meunier à la retraite. Une surprise nous attendait également lors de cette visite, elle nous fut révélée par l’origine des blés moulus dans notre région. Le blé breton n’est guère prisé, car sa farine ne présente pas, semble t’il toutes les qualités requises aux différentes utilisations. Le meilleur blé vient de la région de Chartres, ou carrément de l’étranger, à l’exemple du blé noir ou sarrasin, entièrement importé de Chine. Cette révélation nous étonne tous, tant nous étions persuadés de la vocation agricole de la Bretagne. Mais la mondialisation frappe semble t’il sans distinction tous les secteurs d’activité, au point qu’il ne nous restera demain, que le souvenir d’un temps ancien, certes difficile à vivre sous certains aspects, mais fourmillant d’activités diverses et locales : nos moulins d’autrefois en sont la preuve.
Souhaitons bonne route aux randonneurs de Saint-Pierre, car, désormais, sous leurs semelles, le passé se réveille, permettant d’entrevoir l’avenir avec plus d’optimisme, tout en gardant en mémoire, les leçons de sagesse et d’humilité que les anciens nous ont léguées pour toute richesse.

M. BARON